Le 6 juin dernier, l’équipe « agriculture » du Shift Project présentait un premier rapport, intermédiaire : « Pour une agriculture bas carbone, résiliente et prospère ».
« Aucune de nos projections à horizon 2050 ne nous permet d’atteindre les objectifs de la stratégie nationale bas carbone mais des leviers d’optimisation et de transformation en agriculture sont nombreux et déjà engagés. » Telle est la conclusion, à la fois inquiétante et engageante, que formule l’équipe agriculture du Shift Project, ce think tank créé en 2010 dont l’objet est d’éclairer les chemins de la décarbonation de nombreux secteurs économiques.
Secteur « indispensable » mais « monstrueusement compliqué », faisant intervenir de multiples paramètres (le vivant, les lois de la physique, la biodiversité, l’Europe…), selon Jean-Marc Jancovici, son président, l’agriculture a mis du temps à être investiguée, mais est au premier plan par ses enjeux, schématisés ainsi : « Produire beaucoup, pas cher, en respectant l’environnement. » « Le changement climatique vient tamponner des millénaires d’importante stabilité d’une activité devenue très structurante », rappelle le scientifique.
État des lieux des dépendances et vulnérabilités
Après avoir présenté la double contrainte carbone pour le système agricole, l’agricultrice et cheffe de projet agriculture Céline Corpel établit un état des lieux des dépendances et vulnérabilités qui s’accumulent sur la Ferme France et propose un quintuple défi climatique : adapter les systèmes agricoles aux nouveaux contextes pédoclimatiques, atténuer les émissions de GES (gaz à effet de serre) du secteur, diminuer les consommations d’énergie fossile, stocker du carbone dans les sols et les parcelles agricoles, et produire suffisamment de biomasse, en contexte de ressources contraintes, pour répondre à tous les usages. Mais les leviers d’optimisation et de transformation sur lesquels agissent déjà concrètement les agriculteurs sont nombreux.
Laure Le Quéré, ingénieure, en a résumé quelques exemples, chiffrage de la réduction d’émissions directes à l’appui. Parmi eux, l’optimisation de la fertilisation azotée jusqu’à la décarbonation de la fabrication de ces engrais, est un levier majeur pour atténuer les émissions de GES du secteur. Quant à la sobriété énergétique, l’agriculture a son mot à dire : « 20 % des énergies renouvelables proviennent de l’agriculture en France et les travaux du CGAAER* ont estimé possible 15 % d’économie d’énergie à la ferme, et une substitution à 100 % des énergies fossiles d’ici à 2050 », souligne Laure Le Quéré.
D’où la question fatidique : « À quelles conditions les agriculteurs peuvent s’engager dans ces transformations majeures et coûteuses ? » explore Sophie Devienne, chercheuse à Agro Paris Tech. Elle voit dans les politiques structurantes et notamment la Pac (Politique agricole commune) un cadre favorable, qui par leurs réorientations ont jusqu’à présent permis de conférer de moyens techniques et économiques aux agriculteurs. Mais le changement de paradigme est grand.
Grande consultation des agriculteurs
« Beaucoup d’agriculteurs testent des choses et certaines fonctionnent. L’enjeu des politiques publiques est de lier l’économique et l’environnemental. Il faut aussi changer l’approche. Ce n’est plus le “top down” d’une recherche qui propose et d’agriculteurs qui appliquent. Une autre manière de produire passera par la coconstruction de référentiels techniques adaptés, échangés par petits groupes d’agriculteurs, la capitalisation des expériences ».
Le rapport intermédiaire est consultable publiquement et donnera lieu à un document final prévu pour le 28 novembre. D’ici-là, les agriculteurs sont invités à répondre à une « grande consultation des agriculteurs » afin de recueillir des retours de réalités vécues sur le terrain et ainsi enrichir les travaux en cours sur l’avenir de l’agriculture.
* Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux