Nul doute que la campagne pommes-poires 2022-2023 sera charnière, dans un contexte économique tendu. Plusieurs changements sont annoncés. Amont et aval arriveront-ils à vibrer au diapason ?
« Chaque campagne amène son lot de nouveautés », entonne avec l’ironie qu’on lui connaît Daniel Sauvaître, président de l’ANPP (Association nationale pommes-poires) lors du lancement annuel le 25 août à Paris, réunissant les acteurs de la filière sur toute la chaîne. À commencer par les prévisions de récolte, qui, fait inédit, sont sérieusement réajustées par rapport à ce qui avait été établi à fin juillet pour être diffusé à Prognosfruit début août. En cause, un enchaînement d’aléas climatiques qui perturbent la production.
La récolte de poire en France devrait s’établir à 137 000 t, retrouvant le niveau de 2020. Une belle production de William et Comice est attendue, Conférence est proche de la moyenne. Pour la pomme, la récolte devrait avoisiner les 1 321 Mt (- 4 % vs 2021), au lieu des 1 468 Mt annoncées à Prognosfruit il y a un mois. La précoce Gala est principalement affectée avec un niveau de récolte assez bas (calibre, coloration, chutes physiologiques liées à la canicule et la sécheresse, fruits fendus). À noter le succès continu de Pink Lady® et des variétés dites terroir (+ 7 %), en grande partie grâce à leur bonne acceptation par les consommateurs. Vincent Guérin, responsable du service économique de l’ANPP, livre plus précisément le détail par pays européen et par variété pour ces deux productions (qui seront plus largement diffusées dans notre magazine d’octobre). La révision des prévisions concerne également d’autres pays européens, comme l’Espagne, la Belgique ou les Pays-Bas, qui affrontent eux aussi une vague de sécheresse inédite. « En pomme, ce chiffre de 12 168 Mt, qui tourne depuis début août, va être drastiquement revu à la baisse. La Pologne annonçait une récolte de 4 495 Mt, tout en précisant que la proportion d’industrie serait de 70 % », souligne Vincent Guérin.
En 2022-2023, l’attention se focalisera également sur l’inflation. Passée la phase de sidération et d’observation, Pierre Venteau, directeur de l’ANPP, présente le chiffrement avec menus détails de « l’explosion des coûts et des moyens de production en verger et station » (gazole non routier, fertilisants et phytos, main d’œuvre, électricité multipliée par 12 en douze mois, papier/carton, coûts cachés, notamment logistiques…). Ce qui, additionnés, nous amène en moyenne globale à + 19,48 centimes d’euro. Plusieurs producteurs des régions françaises s’expriment en tour de salle, alimentant le détail pour leur propre cas, que résume Daniel Sauvaître : « Cela fait trois ans que nous avons du mal à obtenir un plein potentiel de nos récoltes. Nous pourrions ajouter beaucoup d’autres coûts. Si nous gagnons 35 centimes et en enlevons 20, il va y avoir du dépôt de bilan dans l’air… Mais ce n’est pas ce qui va se passer, car nous sommes capables de transformer du plomb en or, n’est-ce pas ? »
Interpellés, industriels, grossistes, distributeurs, acteurs de la restauration collective ont réagi, parfois effectué des annonces. Lidl et Casino déclarent arrêter totalement la commercialisation des pommes d’importation. C’est déjà le cas chez Casino et annoncé pour 2023 chez Lidl. « Cela va passer par la planification variétale. En pomme bicolore, on arrivera à faire la boucle sur douze mois. Notre clé de succès, c’est une gamme réduite, un réassort 6 jours sur 7 auprès de nos 1 600 magasins, des stocks courts, un circuit rapide adapté au quotidien », précise Laurent Doerflinger, patron des achats Lidl. Intermarché annonce un recentrage de sa gamme sur trois segments : basique, pomme régionale, pomme club. Et au vu des données de consommation récentes attestant d’une baisse des achats en volume et en valeur, Sandrine Miollan, acheteuse nationale de cette enseigne, insiste pour « recruter de nouveaux consommateurs, en priorité ». Un grossiste souligne son recentrage sur de la pomme premium quand les acteurs de la restauration collective s’avouent pris en étau : entre la législation Égalim (50 % de durable, 20 % de bio) et l’enjeu tarifaire. « Nos repas se situent entre 1,60 € et 2,20 €. Le fruit frais doit rester compétitif », souligne l’un d’entre eux. L’industrie souffre également de l’inflation de ses coûts de production. Un des leaders nationaux témoigne : « Nous sommes obligés de produire de la compote à partir de purées de fruits que nous avions déjà transformées. »
En guise de synthèse, l’ANPP a préparé une « to do list, pour une campagne réussie », appelant de ses vœux à ce que l’amont et l’aval se rejoignent en cochant toutes les cases. Seules les deux premières le sont pour l’instant : « tout investir pour obtenir une bonne récolte » et « mettre en place des moyens de promotion et de la communication grand public ». Les acteurs amont-aval arriveront-ils à se rejoindre sur trois autres fondamentaux formulés ? À savoir : « payer le prix juste et rémunérer correctement le producteur », « mettre en avant les produits pour susciter la reprise de la consommation », « chasser les centimes superflus tout au long de la filière ». Sur ce dernier point, la filière souligne toutefois une avancée réglementaire majeure au travers de l’accord interprofessionnel sur la palettisation.