Ne rien lâcher !

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    L’interprofession des fruits et légumes, Interfel, est en première ligne pour assurer une interface compétente et puissante entre la filière et les pouvoirs publics. Avec des résultats assez spectaculaires à porter à son actif ces derniers jours, comme en témoigne ici Laurent Grandin, président d’Interfel. Qui interviendra d’ailleurs au prochain Forum végétable le 10 juin.

    © DR

    Comment se porte la consommation des fruits et légumes en temps de crise ?

    On ne voit pas de décrochage massif, mais une évolution différenciée selon les produits et l’accessibilité de leurs circuits de consommation préférentiels. C’est ainsi que fraise et asperge souffrent de la fermeture de la restauration commerciale ou encore des marchés forains, alors que les oranges, bananes, pommes, oignons, carottes, vont très bien. Les produits saisonniers les plus fragiles sont particulièrement à la peine.

    Le Premier ministre a annoncé en début de semaine la fermeture des marchés forains : comment gérez vous cette situation ? *

    Je ne reviendrai pas sur les circonstances douteuses de cette décision. En revanche, nous nous sommes très fortement engagés sur le dossier et nous avançons. Nous parlons, au-delà des échanges permanents avec nos 15 familles avec la FMG, l’Association des marchés de France, la FNSEA, ainsi que la CGAD, pour une sortie rapide d’un guide des bonnes pratiques sous l’égide du gouvernement, nous écrivons aux préfets et nous mobilisons nos comités régionaux. Sur le fond, nous sommes d’accord pour que soient fermés les marchés qui ne respectent pas les règles d’hygiène en vigueur (les fameux gestes barrières).  Nous sommes écoutés et accompagnés tant au ministère de l’Agriculture que de l’Économie. Nos remarques sont entendues, il y a une vraie collaboration, la pertinence de l’interprofession est ainsi reconnue. Nous remontons tous les jours aux cabinets les questions qui se posent sur le terrain.

    Vous avez également beaucoup avancé sur la question du travail saisonnier ?

    En effet, les difficultés de la filière horticole nous ont amené à envisager, avec l’accord préalable de Valhor, de recourir aux salariés de ce secteur pour nos production maraîchères et fruitières, mais il y avait deux obstacles à cela : il fallait garantir le maintien des indemnités journalières des personnes qui viendraient travailler et toucher en plus un salaire dans nos entreprises. Il fallait également ouvrir la capacité à nouer des contrats temporaires avec des personnes qui étaient déjà salariées. Le gouvernement a su consentir cette double concession afin de privilégier le maintien d’une production alimentaire de proximité. Cette concession concerne non seulement la partie agricole mais aussi agroalimentaire et donc les stations de conditionnement. Je tiens ici à remercier les ministres de l’Agriculture, de l’Économie et du Travail pour avoir entendu notre demande.

    Vous êtes aussi impliqués dans la mise en œuvre des mesures de protection contre l’épidémie ?

    Oui, nous recensons les besoins de la filière, afin d’effectuer des achats groupés et de mettre ensuite ce matériel à leur disposition. Il est indispensable de pouvoir fournir des masques aux personnes qui en demandent afin de continuer à aller travailler.

    Qu’en est-il sur les points de vente, notamment en libre-service ?

    Il y a un consensus scientifique sur le fait que les fruits et légumes ne sont pas des produits à risque épidémique. L’Anses a pris une position très claire sur ce sujet. Naturellement, nous recommandons plus que jamais les mesures habituelles de lavage à l’eau du robinet toujours assez riche en chlore pour nettoyer les fruits et légumes consommés crus. Nous sommes cependant conscients que, dans la psychose ambiante, les consommateurs puissent être angoissés sur ce point et nous allons consentir un effort de communication auprès du grand public pour dissiper ces craintes. Nous lançons donc une action de communication à la fois média réseau sociaux et d’appui aux points de vente pour l’information et nous allons aussi sensibiliser les associations.

    Au sein de la filière, les grossistes à service complet sont particulièrement affectés par la crise : comment envisagez-vous leur situation ?

    Depuis le début de la crise, leur activité a pu descendre à 20, voire 10 % de leur niveau normal pour celles spécialisées en restauration. Ces entreprises ont recours au chômage partiel qui prend en charge 84 % des salaires nets. Un dispositif très complet de report de charges permet également de soulager substantiellement leur trésorerie. Toutefois, si l’épisode en cours se prolonge une quarantaine de jours, comme cela semble probable, certains grossistes pourraient malgré tout être très fragilisés, d’autant qu’une part de leurs clients de la restauration commerciale risque de ne pas s’en relever non plus. Il est clair que les grossistes distributeurs structurés autours de grands réseaux auront plus de résilience. Dans ce contexte les marchés de gros sont aussi sous la pression de volume en forte diminution liée au confinement que la fermeture des marchés de détail va encore accentuer.

    Et après ?

    Nous commençons à réfléchir aux jours d’après : on ne pourra pas repartir comme avant. Cette crise sera un fort accélérateur de changements. La société de demain aura une autre attitude. Je m’attends à un important virage dans les comportements. Il ne faut pas non plus exclure un contre choc à la premiumisation qui prévalait avant la crise. Il faut s’attendre en effet à une période de récession et de contraction des pouvoirs d’achat qui induira d’autres comportements sans remettre en cause la préférence locale.

    Comment fonctionne Interfel dans la crise ?

    Toute la filière est debout et se bat. Nos cadres sont dotés d’un parc d’ordinateurs portables qui permet de travailler à distance de manière très efficiente et d’organiser régulièrement des réunions virtuelles : nous nous parlons beaucoup et l’activité se poursuit de manière particulièrement intense. Il ne faut rien lâcher, rien remettre à demain !

    * Voir news précédente (arrivée après cette interview) sur notre site : l’ouverture des marchés, sous conditions, est de nouveau autorisée.