La fraise au cœur de la tourmente

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Fruit fragile sans possibilité de stockage, la fraise française va entrer dans son pic de production… alors que la consommation est rendue atone par la situation sanitaire. Xavier Mas, président de l’AOP Fraises de France, répond à nos questions sur l’ampleur de la crise et les perspectives pour la filière.

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Le 23 mars, la fraise gariguette et la fraise ronde ont été déclarées en crise conjoncturelle par le Réseau des nouvelles des marchés. Comment se passe le début de campagne pour la fraise française ?

Très mal. A ce jour, toutes les régions ne sont pas encore entrées en production, mais pour les plus précoces, l’offre est arrivée en même temps que la crise sanitaire, dans un contexte de marché quasi inexistant. Toute la restauration hors domicile est fermée et, en magasins, les consommateurs ont vraisemblablement préféré des produits moins coûteux et qui se conservent longtemps. Depuis mercredi dernier, ils se déplacent moins fréquemment pour leurs courses. La fraise est un produit plaisir, festif, qui se consomme immédiatement. Nous espérions des signes positifs le week-end dernier (les 21 et 22 mars), un sursaut des achats, mais les premiers retours dont je dispose ne montrent pas d’amélioration de la consommation.

Comment voyez-vous les jours à venir, avec l’arrivée du pic de production ?

Je suis pessimiste. Nous entrons désormais dans la période de pic de production pour la fraise de printemps. Quasiment toutes les régions françaises vont démarrer les récoltes cette semaine et les suivantes. La fraise de printemps représente une très grosse part de la production nationale. Et le marché ne donne aucun signe encourageant. D’autre part, la question de la main d’œuvre pour la récolte est très préoccupante. Les ouvriers sont majoritairement des étrangers, de Pologne, de Roumanie, d’Espagne, du Portugal ou encore du Maroc. On sait déjà que les Marocains et tous les non-Européens ne pourront pas entrer. Et pour les Européens, les déplacements risquent également d’être très difficiles.

Comment cela se passe avec la distribution ?

La distribution, les acheteurs, les acteurs de l’aval, avec qui nous échangeons très régulièrement, sont tous mobilisés pour défendre la production française. Tout le monde joue le jeu, des consignes ont été données au niveau des enseignes pour mettre nos produits en avant. Mais le consommateur a d’autres priorités. Je crains que l’on s’achemine vers une catastrophe économique pour la filière.

Peut-on évaluer l’ampleur des conséquences économiques ?

Au niveau des exploitations, à part la récolte, la totalité des investissements productifs ont déjà été réalisés par les producteurs. Et la montée en gamme qualitative et environnementale réalisée par la filière française depuis des années s’est accompagnée d’un renchérissement des équipements de production, donc des niveaux d’investissement. L’impact économique de cette crise en sera d’autant plus grand. Par ailleurs, la tendance à la spécialisation des exploitations, où la fraise occupe en moyenne un poids économique de plus en plus important, rend les entreprises plus vulnérables lorsque la crise les frappe de plein fouet, en plein calendrier de printemps.

Comment peut réagir l’AOP face à cette crise ?

Nous avons demandé à accéder au dispositif de retrait auprès du ministère de l’Agriculture, pour permettre une destruction de marchandise. C’est une première pour nous, cela n’est jamais arrivé dans notre filière. Les modalités de mise en œuvre sont en cours d’élaboration. Ce sera accessible aux OP, dans le cadre des programmes opérationnels. Nous en saurons davantage dans les prochains jours. Et nous en appelons aux consommateurs, aux Français : pensez aux fraises de France qui arrivent sur les étals !