L’édition 2019 des Assises de la Bio s’est attaquée à l’épineuse question du prix du bio, conviant des représentants des principales grandes enseignes à la tribune. Dans un contexte où la bio et son prix se banalisent, le sujet a fait débat dans et hors de la salle.
Le matin du 14 novembre dernier, Michel-Edouard Leclerc en personne est présent, lors des Asisses de la Bio à Paris, pour évoquer sa politique d’offre bio accessible dans ses magasins. A ses côtés, Benoît Soury pour Carrefour, Lyse Manzoni pour Intermarché et Emmanuel Vasseneix, fournisseur de Système U, évoquent la manière dont ils contractualisent ou intègrent des filières de production bio pour alimenter leurs rayons en offre bio et française. Ainsi que Pierrick de Ronne, pour Biocoop et son exemplarité revendiquée en matière de sourcing et de construction du prix en partant du coût de production de ses fournisseurs.
Les sessions de l’après-midi sont consacrées à la construction du partenariat fournisseur-distributeur et à celle du bilan de la Loi Égalim. En ce qui concerne l’application de cette loi, à défaut d’amener « l’équilibre des relations commerciales etc. », elle aura au moins incité les interprofessions « à se mettre autour de la table, à formuler leurs objectifs, leurs missions, leurs valeurs, afin d’avoir un message clair envers les consommateurs », selon Caroline Le Poultier, directrice du Cniel (Centre national interprofessionnel de l’économie laitière). Pour Daniel Sauvaître, secrétaire général d’Interfel, cela se joue au niveau de l’autorité de la concurrence : « Il faut autoriser les producteurs à échanger entre eux des éléments qui leur permettent de défendre leurs prix plutôt que travailler sur les coûts de production, difficilement applicable aux filières. » Claude Choux, directeur de Probiolor et membre de Forébio, développe un bilan plus radical : « Moi, je n’en ai rien vu, de l’application de cette loi ! », évoquant le sport national qui consiste à contourner les textes. « Encore faudrait-il effectuer des contrôles si la volonté était vraiment de la faire appliquer ! »
Au sujet des partenariats entre fournisseurs et distributeurs, finalement, la question des marges appliquées par la grande distribution sur les produits bio domine le débat. « Les chiffres montrent que la grande distribution surmarge largement les fruits et légumes bio de grande consommation : la pomme de terre, la tomate, la pomme », signale Olivier Andrault, chargé de mission à l’UFC Que-Choisir. « Et ces marges ne peuvent s’expliquer par le taux de perte spécifique au bio, qui affecte plutôt les F&L fragiles. » On regrettera qu’aucun des intervenants du matin ne réponde sur ce sujet.
En filigrane de la journée, la question posée est bien celle du maintien d’un prix du bio à un niveau rémunérateur, dans un contexte de « banalisation » de cette gamme. Banalisation parce que non seulement le volume du marché est sorti de ce qu’on appelle une niche, mais aussi parce que sa consommation n’est plus le seul apanage de consommateurs engagés qui associent « agriculture bio » et recherche d’un autre système de commercialisation, hors de la surconsommation et dans une relation équitable avec les producteurs. Or, entre augmentation de l’offre française, qui commence à se traduire par une baisse du prix, comme en pommes et poires, augmentation de l’offre européenne, et différentes stratégies d’enseignes, les conditions de la banalisation sont bel et bien là. Si certains font avec, comme Daniel Sauvaître qui témoigne de son expérience de toujours rechercher de la segmentation pour maintenir de la valeur dans la filière fruits et légumes, d’autres récusent ce fatalisme (ou réalisme). « Attendez, on parle bien de bio là, pas de conventionnel ! », interpelle Claude Choux. « Si l’on a quitté le modèle conventionnel et les relations commerciales qui vont avec, ce n’est pas pour les reproduire maintenant que tout le monde a une gamme bio. » Et d’inviter à être créatif et imaginer les relations commerciales de demain, avec des notions sociétales et d’équité à intégrer dans le label AB avant qu’il ne soit totalement dégradé par cette banalisation, et son prix avec. La salle applaudit… Le bio est mort, vive le bio équitable !