Dans un contexte très mouvementé, la filière tomates a su trouver une résilience appréciable dans un esprit de dialogue et de concessions amont/aval, qui ouvre de vraies perspectives pour relancer les productions de masse manquant actuellement dans l’hexagone. Analyse de Laurent Bergé, président de l’AOPn Tomates et concombres de France.
Comment a évolué la situation de la filière tomate au cours des dernières semaines ?
Nous avons connu un cheminement en différentes étapes. Dans un premier temps, nous avons compris que nous n’étions pas confinés et que nous pouvions poursuivre notre activité, ce qui nous a évité de tourner en rond ! Mais la question suivante était celle du risque d’un fort absentéisme de nos collaborateurs. Très vite, cette préoccupation s’est dissipée, même si quelques parents ont dû se consacrer à leurs enfants et si quelques personnes plus fragiles se sont mises en confinement. Nos équipes ont mesuré rapidement l’importance de maintenir l’activité pour l’entreprise en premier lieu, mais aussi pour subvenir aux besoins de nos concitoyens dans un deuxième temps. S’est posée ensuite la question de l’écoulement de nos produits, nos clients de la grande distribution étant eux-mêmes perturbés dans leur organisation, tant en centrales qu’en magasins ou même en drive. Pour limiter les préparations de commande, nous avons assisté à une simplification des gammes et à une limitation du nombre de références, ce qui nous a inquiété pour les variétés anciennes ou les petits fruits. Il a fallu également revoir les conditionnements, concevoir des colis fermés pour les tomates anciennes, mais aussi s’adapter à l’explosion de la demande en drive qui exige un emballage adapté. Personne n’était vraiment prêt à assumer de tels chamboulements ! S’est posée alors la question de l’origine et de l’écoulement du produit et, à ce moment, toute la distribution a joué le jeu du basculement sur l’origine France, plébiscité par les consommateurs.
Aviez-vous les volumes fin mars pour servir la demande nationale ?
Il faut admettre que non : il en manquait un peu et cela a suscité quelques tensions ponctuelles sur les approvisionnements des enseignes. Mais, ici, nous avons su trouver un dialogue amont/aval assorti de concessions partagées qui ont permis de gérer ces difficultés. Le concombre n’a pas connu ce problème, avec une bonne capacité immédiate à répondre aux demandes de volumes. Mais nous touchons du doigt les limites de notre offre insuffisante et de notre manque d’autonomie sur le « mass market » des tomates rondes et de la grappe. Alors que le prix de grappes a pu atteindre des niveaux déraisonnables au cadran, nous avons incité nos producteurs à proposer des prix à la semaine pour limiter la volatilité des cours et à ne pas dépasser certains niveaux afin de ne pas pénaliser le consommateur. Nous avons également invité nos clients à présenter à nouveau une gamme large, afin que tous les produits trouvent leur place et à éviter l’emballement tarifaire sur certaines références. Ceci a été possible à partir de la troisième semaine, quand une nouvelle forme de routine a pu s’établir après deux premières semaines pleines d’incertitude. Le consommateur, de son côté, a aussi compris qu’il ne risquait pas la pénurie et qu’il pouvait reprendre un rythme d’approvisionnement plus normal sans surstocker. Les choses vont se consolider cette semaine, avec la montée en régime de la production française, qui va se poursuivre au fil du mois d’avril. Il faut que les enseignes continuent de privilégier un approvisionnement local, nettement préféré de leurs clients dans les circonstances actuelles.
Quel est le rôle de l’AOP et du collectif dans ce contexte ?
Nos organisations collectives se sont posées ici comme de véritables interlocuteurs responsables et représentatifs auprès d’une distribution chargée du jour au lendemain de la quasi totalité de l’approvisionnement alimentaire des Français suite à la fermeture de la restauration ainsi que des marchés forains. Nous avons intensément échangé avec les clients, nous les avons alertés sur nos préoccupations logistiques face aux incertitudes initiales dans le transport, désormais levées. Nous avons identifié les points à travailler de concert pour continuer à servir l’offre. Ici, la qualité des échanges entre les hommes de l’aval et de l’amont a été essentielle pour assurer la continuité d’ensemble. Et j’éprouve la fierté de travailler au sein d’une chaîne de solidarité qui dépasse les contraintes du quotidien et qui voit plus loin. Les crises sont des moments de complexité, mais elles ouvrent des opportunités pour penser les choses différemment, évaluer jusqu’où chacun est prêt à faire des concessions pour avancer. J’aimerais qu’à l’issue de celle-ci on réfléchisse largement sur les points à travailler pour conforter l’approvisionnement français sur toute la gamme et pour réintégrer les produits de masse en leur retrouvant un modèle économique viable.