La question est l’un des grands chantiers qu’Aprifel prend à bras-le-corps. De nouveaux éléments de réponses issus de la recherche, ont été présentés et débattus lors d’une conférence au dernier Salon de l’agriculture.
Que révèle la science ? Que seuls 42 % des adultes respectent la recommandation officielle du fameux « 5 fruits et légumes par jour »… et seulement 23 % des enfants, expose sans fatalisme Erwan de Gavelle, chef du bureau de la politique de la DGAL (Direction générale de l’alimentation). Avec une nouvelle clé de compréhension aujourd’hui, suite à plusieurs études visant à piloter au mieux l’évolution de la consommation et grâce à l’apport de chercheurs en sciences cognitives et du comportement appliquées à l’alimentation : pour faire consommer des fruits et légumes, il ne suffit pas de sensibiliser ni d’informer, mais de s’intéresser à l’environnement alimentaire des individus.
D’où le renforcement d’un certain nombre d’actions, au plus près des territoires, comme les classes du goût et des temps de « plaisir à la cantine ». Une promesse inscrite dans la nouvelle SNANC (Stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat) de la DGAL. Car il y a urgence : « Selon l’OMS, les maladies chroniques sont la première cause mondiale de décès. Deux personnes sur cinq dans le monde sont en surpoids ou obèses, ce qui a déjà réduit l’espérance de vie, par exemple, de 2,3 années en France. Les jeunes d’aujourd’hui consomment trois fois moins de fruits et légumes que leurs aînés au même âge et cette tendance devrait même s’accroître », rappelle Chrystel Teyssèdre, présidente d’Aprifel.
« Restons positifs : on sait qu’on peut changer les comportements, à condition de réunir le triptyque savoir (“je sais que les fruits et légumes sont bons pour ma santé”), pouvoir (“je peux me les acheter”, d’où l’importance de travailler sur les représentations du prix, qui reste un facteur déterminant d’achat) et vouloir », complète Delphine Tailliez-Lefebvre, directrice d’Aprifel.
Influer sur l’environnement alimentaire
Transmettre des informations et des connaissances en les couplant aux caractéristiques individuelles est l’une des conclusions de Jérémie Lafraire, directeur de recherche en sciences cognitives à l’Institut Paul Bocuse. Avec humour sinon ironie, il explique pourquoi on ne peut pas cibler les consommateurs de la même façon, du fait de représentations mentales différentes et de leurs limites (dites heuristiques, dans le jargon), les facteurs psychologiques et de notre environnement façonnant nos préférences et choix alimentaires.
Quand on sait que les habitudes se façonnent entre 2 et 6 ans, que la peur de la nouveauté ancrée depuis le fond des âges émerge à cette période, « on comprend mieux que si un enfant évolue dans un environnement qui favorise le gras et le sucré, alors cela induit les problèmes alimentaires de certains enfants ».
« Si on veut changer quelque chose, il faut une force proportionnelle à l’inertie », abonde Nicolas Spatola, chercheur en psychologie sociale et cognitive. Exemple à l’appui de l’initiative des « Filles à côtelettes », qui se définit comme « le premier club gourmand et flexitarien qui nous réunit toutes autour d’une envie de bien vivre et de mieux manger, libres de tout préjugé et de façon décomplexée ».
Une stratégie d’influence de la filière viande visant à renverser les codes masculinistes injustement associés à la viande et devenir une contre-norme. « Cela interroge tellement de voir ces images, qu’elles s’intègrent davantage dans la pensée », souligne le chercheur. « La problématique autour de l’école est donc très importante, pour intégrer de nouvelles normes, à relier de manière systémique à l’environnement. Il y a un besoin de recadrage qui passera par la réglementation, si on veut faire bouger les choses ».
Simplifier la décision du consommateur
Laurent Muller, directeur de recherche en économie comportementale à l’Inrae, démontre, quant à lui, que « plus on est descriptif, plus on simplifie la décision du consommateur, plus ça marche. L’information descendante ne fonctionne pas ». D’où le succès du Nutri-Score ou de l’application Yuka, qui pose toutefois certaines limites, les catégories d’individus en ayant le plus besoin ne l’utilisant pas.
Il pointe également l’expérience positive des politiques mixtes : par exemple, si on propose à des consommateurs des produits avec Nutri-Score couplés à une taxation sur les prix selon leur gradient (produits D et E plus taxés), avec un nudge* final (vert c’est bien, rouge pas bien), alors ils s’orientent mieux. « Cela remet en cause toute la politique de pancartage d’informations standard ! »
Enfin, la relève est assurée : cinq étudiants en thèse ont présenté leurs travaux, autour de l’acceptabilité du changement (avec l’exemple d’un doublement de la proportion de plats végétariens en restaurant universitaire), la lutte contre les stéréotypes de genre ou la précarité alimentaire.
* Outil conçu pour modifier nos comportements au quotidien, sous la forme d’une incitation discrète, d’un « coup de pouce ».